Les décisions de justice se multiplient sur le terrain de la franchise. Nul doute que les difficultés économiques auxquelles sont respectivement confrontés franchisés et franchiseurs sont en grande partie à l’origine de l’abondance de tels contentieux. Dans ce contexte, la jurisprudence a récemment affiné ses critères en affichant clairement une volonté : la recherche d’un équilibre dans les relations franchisés/franchiseurs. 

Appelés à statuer sur la délicate application de la loi Doubin, les tribunaux, de plus en plus, se placent sur le terrain, sur l’aspect pratique et non plus théorique de toute adhésion à un réseau. Ainsi apparaissent de nouvelles notions : le temps nécessaire aux franchisés pour s’informer du réel marché économique ; le dépassement ou non d’une marge habituelle d’erreur en termes de chiffres prévisionnels ; les aléas économiques reposant sur tout contrat, tel celui de franchise.

Absence de présentation de l’état local du marché : une tolérance consacrée
Deux thèses s’affrontaient. La première reposait sur une application stricte de la loi Doubin : le DIP devait comporter la totalité des mentions imposées par la loi et son décret d’application, sous peine de sanction systématique à l’encontre du franchiseur. Selon la deuxième, une imperfection du DIP ne devait pas, pour autant, donner lieu à une telle sanction. La Cour de cassation a, le 28 mai 2013, tranché en faveur de cette seconde thèse, dans un cas d’espèce méritant commentaires. Il n’est pas contesté, dans cette affaire, que le DIP ne comportait pas la présentation de l’état local du marché. Saisie d’une demande en annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation a jugé ce qui suit : « C’est en vain que le franchisé fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en annulation du contrat de franchise. » En effet, le franchisé a bien eu à sa disposition le document d’information précontractuelle. L’arrêt retient qu’il a disposé d’un délai supérieur aux usages pour s’informer sur les potentialités économiques du fonds et, plus généralement, pour compléter d’éventuelles insuffisances dans l’information fournie. Si le document ne comportait pas d’état local du marché et s’il appartenait effectivement au franchiseur de présenter l’état général et local du marché, le candidat à la franchise devait réaliser lui-même une étude précise du marché local. Compte tenu du temps dont le franchisé avait disposé pour affiner son appréciation du marché local, les éventuels manquements à telle ou telle exigence légale n’auraient pu, de toute façon, « être constitutifs d’un dol ou d’une erreur de nature à vicier son consentement ». Pour écarter la demande d’annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation pose donc un nouveau critère : celui du temps dont le franchisé a disposé pour apprécier la réalité du marché local. Ainsi, elle ne s’inscrit plus dans le strict cadre du délai de 20 jours imposé par la loi Doubin, mais complète cet élément par une circonstance de fait : le délai effectif dont a disposé le franchisé pour adhérer au réseau. En clair, en cas de délai suffisant, la Cour de cassation précise que les éventuels manquements à telle ou telle exigence légale ne sont plus systématiquement constitutifs d’un dol ou d’une erreur de nature à vicier le consentement du franchisé. Il s’agit ici d’une avancée déterminante dans l’évolution de la jurisprudence.

Chiffres d’affaires prévisionnels : possibilité d’une marge d’erreur

La jurisprudence affine ici sa position. Rappelons que la responsabilité du franchiseur peut être engagée en cas de communication de chiffres d’exploitation prévisionnels notoirement erronés. La communication de tels chiffres n’est, certes, pas obligatoire légalement. Cependant, en cas de transmission effective par le franchiseur, celui-ci, conformément à une jurisprudence consacrée, est tenu à une obligation de présentation sincère (Cass com 19 janvier 2010) ; une sanction à son encontre pouvant intervenir en cas d’erreur substantielle (Cass com 4 octobre 2011, 12 juin 2012).
La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2013, a, en ce sens, confirmé l’annulation d’un contrat de franchise pour chiffres prévisionnels irréalistes et chimériques. Il est intéressant de relever qu’elle a sanctionné ici un écart qui « dépasse la marge habituelle d’erreur en la matière ».
Le principe de l’erreur est donc admis et reconnu. Une décision du 1er octobre 2013 complète cette définition. Dans ce cas, la gérante d’une société franchisée, en liquidation judiciaire, poursuivie en exécution d’un engagement de caution, a recherché la responsabilité du franchiseur. De manière classique, la Cour de cassation a rappelé qu’au titre de la nécessaire présentation sincère du marché, le franchiseur n’était pas tenu à une obligation de résultat.
Mais surtout, elle précise que « l’exécution du contrat de partenariat est soumise à l’aléa économique de l’activité, et aux diligences du partenaire qui contracte à titre personnel avec ses fournisseurs et prêteurs ». Est consacré le principe de l’aléa économique inhérent à toute opération commerciale, telle la conclusion d’un contrat de franchise. L’autonomie du dirigeant franchisé est également ici mise en exergue. Celui-ci, de manière autonome, fait libre choix de ses investissements financiers et des emprunts consécutifs.

Exploitation des signes distinctifs du franchiseur après la résiliation du contrat
Dans le cadre de la décision précitée du 28 mai 2013, la Cour de cassation rappelle un principe classique : en cas de résiliation du contrat, l’utilisation par le franchisé des signes distinctifs du franchiseur l’expose à des dommages et intérêts pour parasitisme économique. Bien souvent, en effet, les franchisés effectuent une demande d’annulation rétroactive du contrat de franchise, tout en conservant l’exploitation les signes distinctifs du franchiseur durant la procédure. Attention donc à la portée et aux limites d’un tel choix : l’enseigne et les signes distinctifs qui y sont attachés ne peuvent être utilisés par un franchisé sans contrepartie financière. Ainsi, à défaut de contrat de franchise en cours, une telle utilisation constitue bien une forme de parasitisme ouvrant droit à dommages et intérêts au profit du franchiseur.

Source : Franck SINGER, fondateur de SINGER-AVOCATS – 40 avenue Kléber – 75116 PARIS – contact@singer-avocats.com